Couvre-feu et canicules, une question urgente de santé publique

Julien Simard

En me couchant il y a quelques jours devant les images des émeutes dans le Vieux-Port, je n’ai cessé de penser au livre du sociologue Eric Klinenberg, Heat Wave, A social autopsy of disaster in Chicago (University of Chicago Press, 2002), qui décortique avec rigueur l’impact de la terrible vague de chaleur de l’été 1995 sur les aînés isolés de la métropole de l’Illinois (plus de 700 décès en une semaine).

Depuis quelques mois, on évoque régulièrement les conséquences délétères du couvre-feu aux niveaux psychologique, physiologique, économique, relationnel et social (isolement), qui sont immenses. Tant de souffrances inutiles, le couvre-feu n’ayant aucun effet sur l’extrême majorité des milieux où s’échange le virus (milieux de travail, écoles, garderies et milieux de vie et de soins) ni sur les contaminations à l’extérieur, qui représenteraient moins de 0,1 % des cas en Irlande selon une étude récente. J’ai démontré ailleurs que la plupart des indicateurs que nous possédons, notamment l’étude Connect de l’INSPQ, indiquent que le couvre-feu n’a aucun impact sur les rassemblements à domicile, qui se sont maintenus à un niveau très bas depuis septembre 2020.

Par contre, au-delà de ces considérations empiriques fondamentales, une question particulière reste dans l’ombre et concerne, autant que toutes les dimensions précédentes, une urgence pour la santé publique, surtout celle de Montréal : l’incidence des vagues de chaleur sur les aînés assignés à domicile. Le type d’angle mort qui devient, du jour au lendemain, une catastrophe « imprévue ». Imaginez une canicule chaude et humide de quelques jours, au mois de mai, sous couvre-feu. Le printemps est chaud, ce serait possible. À titre de comparaison, « en 2018, un épisode de chaleur extrême fin juin avait fait 66 victimes à Montréal : des gens vivant seuls sans climatiseur, avec des problèmes de santé chronique (hypertension, diabète) ou des troubles psychotiques » (Daniel Boily, Radio-Canada, 15 juillet 2020).

Pour les personnes âgées isolées vivant dans des appartements inadéquats — dont l’isolement et les problèmes psychologiques ont généralement été renforcés par la pandémie — avoir accès à la fraîcheur du soir représente une question de vie ou de mort. Pouvoir bénéficier des services informels de connaissances, visites ou simplement d’un échange court avec un voisin ou une voisine peut faire toute la différence, comme Klinenberg l’a démontré. Cela se produit quand le soleil est couché et que la brise fraîche se lève. Or, avec les changements climatiques que l’on subit déjà, Montréal l’été ressemble davantage à une métropole subtropicale comme La Nouvelle-Orléans, où l’on vit au crépuscule pour échapper au soleil trop violent.

Sous couvre-feu, on risque de découvrir également que d’autres populations plus jeunes, vivant avec des comorbidités aggravées par un an de pandémie, deviendront aussi des victimes de la chaleur extrême. Ces personnes qui, n’ayant pas de problèmes de mobilité, peuvent normalement bouger, s’aérer et quitter un appartement trop chaud et humide le temps d’une soirée.

Non seulement le couvre-feu ne sert à rien pour juguler la pandémie, il deviendra bientôt un danger très concret et potentiellement fatal pour de nombreuses personnes vulnérables. Le faire tomber est une urgence pour prévenir d’autres décès inutiles. À moins qu’on accepte tacitement, comme société, de faire durer plus avant ce laisser-mourir honteux de personnes vieillissantes, seules et déshydratées. En somme, on se retrouve ici devant l’intersection parfaite entre les questions de logement, les problèmes reliés à la chaleur, la crise sanitaire et les conséquences de l’approche sécuritaire et policière de la gestion de pandémie de la CAQ. Un cocktail explosif et morbide.

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/599049/idees-couvre-feu-et-canicules-une-question-urgente-de-sante-publique

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