Emma Jean
Le nombre de féminicides que l’on observe actuellement est tragiquement inhabituel: il y a eu 11 meurtres de femmes dans les cinq premiers mois de l’année, alors qu’il se produisait une douzaine de féminicides par année avant la pandémie. Si cette tendance se maintenait, on doublerait littéralement le nombre de féminicides à la fin de l’année 2021 en comparaison avec 2019.
Or, ces féminicides sont la pointe d’un iceberg beaucoup plus important: la hausse de la violence conjugale que nous avons montrée avec les données de Google Trends est aussi constatée sur le terrain, par les intervenantes. Le conseil du statut de la femme écrivait, fin avril, que les appels à la ligne d’urgence SOS violence conjugale avaient plus que doublé entre 2019-2020 et 2020-2021, passant de 90 par jour en 2019 à près de 200 en 2020-2021. Les maisons d’hébergement pour les victimes ont été débordées en 2020 et ont dû refuser des milliers de demandes, faute de place. De plus, une bonne proportion des intervantes notaient que la violence envers les femmes semblait prendre des formes plus graves en 2020-2021 que durant les années antérieures.
Il était donc urgent que cessent les mesures de confinement strictes, qui réduisent par la répression les contacts sociaux sans égards à leur nécessité ou au danger réel qu’ils représentent. En isolant les femmes de leur réseaux de socialisation et en les enfermant avec leurs agresseurs, ces mesures ont vraisemblabment provoqué une flambée de violence conjugale. Malheureusement, le déconfinement présente aussi des risques importants.
Dans mon précédent article sur la violence conjugale et le couvre-feu, je soulignais en effet que si le couvre-feu avait exacerbé la violence conjugale, on pouvait craindre que les périodes de déconfinement sont elles aussi dangereuses pour les femmes victimes de violence de la part d’un partenaire intime. Suite au déconfinement partiel du mois de mars, une augmentation de la violence conjugale avait été signalée par les intervenantes sur le terrain. Comme on peut le constater sur le graphique suivant, la même hausse est aussi apparue dans les recherches Google sur la violence entre partenaires intimes.

Actuellement, le nombre de recherches Google sur la violence conjugale est redescendu au niveau du début mars, et le déconfinement annoncé n’est pas encore effectif. Les prochaines semaines risquent toutefois d’être cruciales. Le risque d’une augmentation de la gravité des crimes violents commis à l’endroit de partenaires intimes est réel. La logique derrière le phénomène est bien comprise, et elle est décrite dans la recherche psychologique, sociologique et féministe: quand les agresseurs ont le sentiment de perdre le contrôle, ils redoublent souvent de violence pour maintenir leur ascendant sur leurs victimes. L’intensification de la violence qui en découle peut se terminer en meurtre, comme on a malheureusement pu le constater cette semaine.