Un retrait précoce du couvre-feu

Par Jonathan Durand-Folco

13 janvier, le gouvernement Legault s’apprête à annoncer le retrait prochain du couvre-feu. On pouvait s’attendre à ce que ce dernier maintienne cette mesure en place plusieurs mois, comme l’année dernière où il a été en vigueur jusqu’au 28 mai 2021. Mais pourquoi Legault recule-t-il sur cette mesure controversée à ce moment-ci, alors que la situation sanitaire est encore pire que l’année dernière et que le système de santé est sur le bord de l’implosion? Voici quelques hypothèses:

  1. La pression de l’opinion publique: contrairement à janvier 2021, on a vu le vent tourner au sein de la population et des prises de position dans les médias. Les gens sont vaccinés, des dizaines de lettres ouvertes ont été publiées en démolissant l’argument du gouvernement, des spécialistes de la santé se sont mis à douter de l’efficacité de la mesure.
  • Nous sommes en année électorale: la pression de l’opinion publique fonctionne d’autant plus que le gouvernement est plus vulnérable aux critiques et mauvais sondages; s’il ne veut pas perdre la face, il doit davantage écouter les préoccupations citoyennes, des milieux économiques et du réseau de la santé, sans quoi il risque d’avoir de mauvaises surprises à l’automne. Le gouvernement Legault a un taux d’appui qui dépasse l’entendement, mais il n’est pas invincible non plus.
  • Le cafouillage des mesures sanitaires: on voit que Legault a perdu le contrôle de la situation sanitaire, avec son manque de préparation de la cinquième vague, la pénurie de tests, la démission d’Arruda, les mesures contradictoires dans les milieux de garde et les écoles. Dans un contexte d’incohérence telle, il est difficile d’appuyer la légitimité d’une mesure coercitive comme le couvre-feu qui demande un certain niveau d’acceptabilité sociale des mesures sanitaires, qui est beaucoup moins présente qu’en 2021.
  • Le manque de tests: la supposée efficacité du couvre-feu se trouve au niveau de la réduction des contaminations, laquelle peut être mesurée par le nombre de nouveaux cas quotidiens. Or, comme les tests PCR ne sont plus offerts à la population depuis le 4 janvier, il est littéralement impossible de mesure un quelconque effet couvre-feu. Legault ne le dira pas, mais il vient de perdre l’un des indicateurs clés lui permettant de justifier certaines mesures sanitaires. Tout se passe comme si le gouvernement devait maintenant conduire avec un indicateur de vitesse brisé, en estimant sa propre vitesse de manière intuitive. Pas facile.
  • La rentrée scolaire: le gouvernement Legault a fait le choix de préserver la rentrée scolaire lundi prochain. Il évoque les raisons de santé mentale des jeunes, et on sait bien qu’il y a aussi l’argument économique derrière. Les classes ne seront plus fermées automatiquement avec la découverte d’un cas, et l’isolement obligatoire sera réduit à seulement 5 jours. Pourquoi cette décision? Un article mentionne ceci: »Il est précisé dans le document qu’ont été prises en compte « la faible probabilité des complications chez les enfants infectés », « la couverture vaccinale en augmentation chez les enfants du primaire », de même que « les impacts négatifs cumulés des isolements des enfants sur leur apprentissage, leur développement et leur sécurité personnelle ». » Ça se comprend, mais on peut être certain ici qu’il y aura une explosion de contaminations dès la mi-janvier.
  • Tout le monde attrapera Omicron: devant la perte de contrôle visant à endiguer les contaminations, le gouvernement baisse les bras et change de stratégie dans sa gestion de la pandémie. Le Québec prendra-t-il la même approche que le Manitoba? « Le Manitoba change son fusil d’épaule dans la lutte contre la COVID-19. Le médecin hygiéniste en chef adjoint du Manitoba, le Dr Jazz Atwal, a affirmé en conférence de presse, mercredi, que chaque Manitobain sera probablement exposé au virus dans les prochaines semaines. Le gouvernement a annoncé qu’il changeait d’approche de la lutte contre la COVID-19. Le gouvernement ne se concentrera plus sur les cas individuels, mais orientera son action vers la gestion du risque au niveau communautaire, a expliqué le Dr Atwal. La première ministre, Heather Stefanson, a fait valoir que la province devait adopter une « approche plus équilibrée » pour gérer ce virus « et voir à long terme pour vivre avec ce virus ».
  • La voie de l’immunité collective: je ne sais pas si c’est la bonne approche à suivre, mais mon petit doigt me dit que le gouvernement Legault se dirige vers cette voie. Avec un virus extrêmement contagieux, mais apparemment moins dangereux que les précédents variants, et avec une population en voie d’être triplement vaccinée dans un avenir rapproché, de plus en plus de spécialistes disent qu’on se dirige probablement vers ce scénario. Le gouvernement Legault a perdu le contrôle, les contaminations font déjà rage, et les éclosions se multiplieront sans un confinement drastique et soutenu des écoles et milieux de travail, ce qui ne semble pas soutenable d’un point de vue politique. Le virus a recommencé à contaminer massivement les centres de personnes âgées, et malgré les cas quotidiens officiellement recensés, on peut s’imaginer que le nombre réel de cas est beaucoup plus, beaucoup plus élevé.
  • Les contradictions du gouvernement: encore une fois, pourquoi Legault lâche-t-il le couvre-feu à ce moment critique-ci, alors que les hôpitaux sont sur le point d’atteindre le stade maximum de délestage, et que son principal argument pour justifier cette mesure le 30 décembre dernier était qu’on devait impérativement limiter le nombre de cas et protéger le système de santé? Je ne trouve pas d’autre hypothèse que le gouvernement Legault se contredit, et que le couvre-feu était en bonne partie une « mesure-spectacle »: non pas une mesure sanitaire avec une efficacité avérée, mais une mesure « forte et musclée » visant à montrer qu’il reprenait le contrôle de la situation. Or, deux semaines plus tard, on constate les dégâts, Legault a complètement perdu le contrôle, et le gouvernement doit se retrancher.
  • La contribution santé: Le gouvernement Legault a décidé de troquer le couvre-feu, qui affecte tout le monde de façon indiscriminée, par une mesure ciblant plus spécifiquement les personnes non-vaccinées. Je n’ai pas vu de sondages à cet effet, mais je fais l’hypothèse que les sondages montreraient aujourd’hui qu’il y a un faible appui au couvre-feu, et un appui majoritaire à la contribution santé. Encore une fois, il faut rappeler que la CAQ n’est pas un parti avec une idéologie très forte, mais un parti populiste qui gouverne largement par sondages, ce qui est d’autant plus vrai en année électorale. Le fait de taxer les non-vaccinés est un excellent exutoire qui soulage temporairement les frustrations populaires, et cela permet de détourner l’attention des désastres d’une gestion sanitaire improvisée. Legault continuera d’utiliser le bouc-émissaire des non-vaccinés, en leur donnant la vie dure, et en élargissant l’application du passeport sanitaire. Rappelons ici qu’avec la pénurie de tests, le gouvernement Legault obligera tout le monde à avoir trois doses peu importe si on a attrapé la COVID une, deux ou trois fois en plus, mais c’est une autre question.

Bref, c’est une petite victoire dans la bataille contre le couvre-feu, mais la guerre contre l’autoritarisme sanitaire n’est pas terminée. Il faudra se mobiliser pour mettre fin à l’état d’urgence, démolir la légitimité du passeport vaccinal et construire une démocratie sanitaire digne de ce nom.

Déconfinement et violence conjugale: attention au rebond

Emma Jean

Le nombre de féminicides que l’on observe actuellement est tragiquement inhabituel: il y a eu 11 meurtres de femmes dans les cinq premiers mois de l’année, alors qu’il se produisait une douzaine de féminicides par année avant la pandémie. Si cette tendance se maintenait, on doublerait littéralement le nombre de féminicides à la fin de l’année 2021 en comparaison avec 2019.

Or, ces féminicides sont la pointe d’un iceberg beaucoup plus important: la hausse de la violence conjugale que nous avons montrée avec les données de Google Trends est aussi constatée sur le terrain, par les intervenantes. Le conseil du statut de la femme écrivait, fin avril, que les appels à la ligne d’urgence SOS violence conjugale avaient plus que doublé entre 2019-2020 et 2020-2021, passant de 90 par jour en 2019 à près de 200 en 2020-2021. Les maisons d’hébergement pour les victimes ont été débordées en 2020 et ont dû refuser des milliers de demandes, faute de place. De plus, une bonne proportion des intervantes notaient que la violence envers les femmes semblait prendre des formes plus graves en 2020-2021 que durant les années antérieures.

Il était donc urgent que cessent les mesures de confinement strictes, qui réduisent par la répression les contacts sociaux sans égards à leur nécessité ou au danger réel qu’ils représentent. En isolant les femmes de leur réseaux de socialisation et en les enfermant avec leurs agresseurs, ces mesures ont vraisemblabment provoqué une flambée de violence conjugale. Malheureusement, le déconfinement présente aussi des risques importants.

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Couvre-feu et canicules, une question urgente de santé publique

Julien Simard

En me couchant il y a quelques jours devant les images des émeutes dans le Vieux-Port, je n’ai cessé de penser au livre du sociologue Eric Klinenberg, Heat Wave, A social autopsy of disaster in Chicago (University of Chicago Press, 2002), qui décortique avec rigueur l’impact de la terrible vague de chaleur de l’été 1995 sur les aînés isolés de la métropole de l’Illinois (plus de 700 décès en une semaine).

Depuis quelques mois, on évoque régulièrement les conséquences délétères du couvre-feu aux niveaux psychologique, physiologique, économique, relationnel et social (isolement), qui sont immenses. Tant de souffrances inutiles, le couvre-feu n’ayant aucun effet sur l’extrême majorité des milieux où s’échange le virus (milieux de travail, écoles, garderies et milieux de vie et de soins) ni sur les contaminations à l’extérieur, qui représenteraient moins de 0,1 % des cas en Irlande selon une étude récente. J’ai démontré ailleurs que la plupart des indicateurs que nous possédons, notamment l’étude Connect de l’INSPQ, indiquent que le couvre-feu n’a aucun impact sur les rassemblements à domicile, qui se sont maintenus à un niveau très bas depuis septembre 2020.

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Les conséquences sociales du couvre-feu (1) La violence conjugale

Emma Jean (auteure), Julien Simard (révision) *

Résumé

Nous présentons une quantification de l’effet du confinement et du couvre-feu sur la violence conjugale à l’aide d’une méthodologie qui utilise les données de Google Trends en tant qu’indicateurs de phénomènes réels. L’analyse démontre que les périodes qui suivent l’interdiction des visites à domicile à la fin septembre 2020 et l’imposition du couvre-feu en janvier 2021 présentent des volumes moyens de recherche portant sur la violence conjugale qui sont plus élevés que durant la période pré-pandémique ou durant la période du premier confinement au printemps 2020. Le modèle ARIMA utilisé pour l’analyse de la série chronologique montre que l’imposition de ces mesures a été suivie de valeurs saisonnières anormalement élevées dans les recherches sur la violence conjugale, ces valeurs marquant une rupture avec la tendance stationnaire de la série pré-pandémique. Compte tenu de la capacité prédictive reconnue des données de Google Trends, le fait que les recherches sur la violence conjugale aient augmenté après l’imposition de ces mesures sanitaires suggère que leur introduction a été suivie d’une augmentation de la violence conjugale au Québec.

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L’effet des Fêtes et l’effet couvre-feu sont-ils réels ?

Julien Simard et Emma Jean

Début 2021, le gouvernement Legault a imposé un couvre-feu, entré en vigueur le samedi 9 janvier dernier. La raison principale alors évoquée pour justifier sa mise en place était simple et directe : le gouvernement désirait mettre fin aux « rassemblements des Fêtes » qui, selon lui, auraient contribué activement à la hausse des cas durant la deuxième vague.

Or, contrairement à ce qu’affirme François Legault, les données ne montrent aucun effet des Fêtes. Cet argument s’inscrit davantage dans une stratégie de communication politique que dans la réalité empirique et statistique. Le principal soubassement discursif du couvre-feu, sa justification primordiale, est extrêmement fragile. Dans un premier temps, nous démontrerons pourquoi, à travers quelques points. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons plus en détail sur les fameuses « visites à domicile » et sur les contacts dans les autres milieux.

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